Processus d’exploitation

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Les éléments qui rendent possible l’exploitation

  • La pression familiale (exercée par les parents ou les enfants)
  • La perte de repères du fait d’un possible événement traumatique ayant provoqué la migration
  • La perte de repères associée à la migration : départ pays d’origine, séparation famille, événements vécus au cours du voyage, rencontre d’une nouvelle culture…
  • La perte de repères associée aux conditions de vie dans le pays de destination et notamment à la pratique de la prostitution, menaces subies, possibles violences des auteurs ou des clients…
  • Le possible sentiment de reconnaissance à l’égard de ceux qui les ont aidées à migrer, quand bien même cette aide s’est accompagnée de pratiques de coercition

Cette perte de repères rend la personne perméable à toute proposition d’un nouveau cadre : celle formulée par le groupe qui exploite.

Les agissements sur lesquels repose le processus d’exploitation

L’isolement

L’isolement peut se traduire de différentes manières :

Isolement à l’égard de la société du pays de destination

Le fait qu’une personne ait de nombreux contacts au sein du groupe qui l’exploite ne doit pas faire écran au fait qu’elle soit isolée à l’égard de la société du pays de destination.

  • soustraction du passeport et des papiers d’identité ; cette pratique convainc la personne qu’elle ne peut pas saisir les autorités policières puisqu’elle est sans existence légale ;
  • interdiction faite à la victime de se déplacer seule ; c’est souvent le risque d’être arrêté par les autorités de police qui est mis en avant lorsque la personne est étrangère et en situation irrégulière ;
  • utilisation d’un faux nom et de faux documents. Ces pratiques font obstacle à l’inscription de la personne dans la société du pays de destination puisqu’elle se retrouve sans existence administrative. Elles aggravent les effets destructeurs de l’irrégularité du séjour, en agissant notamment sur l’estime de soi ;
  • interdiction de discuter avec les personnes qui peuvent venir au domicile, notamment dans les cas d’esclavage domestique ou de travail forcé ;
  • interdiction de recevoir des tiers ;
Isolement à l’égard de la famille (lorsque ce n’est pas cette dernière qui exploite)
  • interdiction pure et simple de téléphoner à sa famille ;
  • interdiction d’appeler hors la présence de celui qui exploite ;
  • obligation d’avoir un discours convenu ;
  • interdiction de voyager dans le pays d’origine, et notamment de rendre visite aux enfants restés aux pays…


La dépendance

La dépendance délibérément instaurée à l’égard de la personne ou du groupe d’exploitation est à la fois matérielle, juridique, psychologique et affective…

Dépendance matérielle ce sont souvent les auteurs de l’exploitation qui fournissent le gite et le couvert. Or, il est difficile pour toutes les personnes en situation irrégulière au regard de la législation sur le séjour d’accéder à un hébergement et des ressources…
Dépendance juridique la soustraction des papiers empêche les victimes de s’éloigner, tant elles sont convaincues – ce qui n’est pas nécessairement faux – qu’elles seront renvoyées dans leur pays d’origine si elles se présentent sans document dans un commissariat. En outre, migrer sous de faux papiers implique de recourir à des complices pour bénéficier d’un nouvel extrait de naissance conforme aux documents obtenus à l’arrivée en France (demande d’asile, carte de sécurité sociale, relevé d’identité bancaire…).
Dépendance affective ou psychologique les relations des personnes exploitées sont souvent limitées soit au groupe d’exploitation, soit à la communauté dont relève ce groupe d’exploitation. La dépendance affective peut être accrue par la possible reconnaissance à l’égard de ceux qui les ont aidées à migrer, quand bien même cette aide s’est accompagnée de pratiques de coercition.

Quitter ce groupe signifie se retrouver du jour au lendemain sans interlocuteur avec lequel parler une langue commune, partager des moments de convivialité, demander un soutien matériel ou moral…, autant de choses humainement essentielles.


Le discours

Certaines formes de discours vont contribuer à accroître encore la soumission.
En recourant à l’injonction de conformité l’auteur va banaliser les faits subis. Il est ainsi facile de se jouer des différences culturelles en expliquant que pour les français, la prostitution est une activité normale…
La culpabilisation peut également renforcer la soumission : si la victime ne se soumet pas aux ordres qui lui sont donnés, elle va en subir les conséquences, soit parce qu’elle risque d’être expulsée et renvoyée au pays, soit parce que sa famille va devoir payer la dette souscrite pour la migration, ou parce que sa famille ne pourra pas bénéficier plus tard de l’argent que la personne qui a migré pourrait renvoyer au pays.

Ces pratiques vont renforcer la docilité de la victime et favoriser ainsi le profit réalisé.

Les effets du processus d’exploitation

  • La personne soumise à une relation d’exploitation peut être habitée par un sentiment de non-appartenance
  • Elle peut être paralysée par un sentiment de peur (peur des clients et de la violence vécue dans la rue, la peur du retour au pays et enfin, la peur de celui qui exploite, peur des associations…) qui peut être délibérément transmis par l’auteur des faits.

A partir du moment où la personne se sent niée dans sa singularité, où elle a le sentiment de ne plus s’appartenir, elle n’est plus en mesure d’exercer un choix qui serait contraire à la volonté de la personne qui la « possède », elle n’est pas en mesure d’affirmer une volonté qui lui serait propre. « Dans ma tête il n’y avait que ses mots ».

La nécessité d’une proposition contenante 

  • L’appartenance, voire l’affiliation au groupe qui l’exploite, peut permettre à la personne de supporter la violence que constitue bien souvent l’entrée dans la prostitution, la déception d’une vie qui n’était pas celle rêvée.
    Mais dans le même temps, ces liens enferment la jeune femme.
  • Proposer à une personne de quitter le groupe d’exploitation implique la mise en place d’un accompagnement suffisamment sécurisant et sur le plan physique et psychique pour éviter qu’elle ne soit plus encore démunie après avoir quitté ceux qui l’ont exploitée.

La mise à distance de l’auteur peut laisser la victime, si l’on reprend les mots de certaines d’entre elles, « comme un bébé », tant qu’elle n’a pas pu restaurer son estime de soi.
Mais créer un cadre protecteur ne signifie pas porter la personne sur tous les plans. Ce cadre est la condition permettant à la victime de déconstruire la relation de soumission, voire d’emprise qui la lie à ceux qui l’ont exploitée. Pour ce faire, il importe de ne pas l’infantiliser en voulant le protéger de sa propre histoire, mais bien l’amener à identifier ce qui dans son parcours a rendu les faits possibles.
Ce processus implique de disposer d’un espace physique et temporel permettant à la personne de décider de la conduite à tenir loin de l’influence de ceux qui la tiennent sous leur pouvoir.
Or, on ne peut demander à une personne qui demande à quitter ceux qui l’exploitent d’attendre dix jours, un mois ou trois mois…
Au moment où la personne a besoin de stabilité et de sécurité, la précarité de sa situation matérielle, juridique et psychologique fera obstacle à la création d’un lien solide et sécurisant avec ceux qui la suivent et plus largement avec les institutions étatiques. La prise de conscience de cette nécessité est essentielle.